Le gouvernement gabonais envisage de mener à terme un projet de révision constitutionnelle. Ce projet est censé mettre en application les propositions du dialogue politique voulu par le Président Ali Bongo, qui s’est tenu du 18 avril au 25 mai 2017.
Ce projet suscite déjà l’inquiétude des gabonais et alimentent les discussions au sein de la presse et sur les réseaux sociaux. Normal !
Le projet de modification constitutionnelle approuvé par le gouvernement au Gabon est ‘’démocraticide’’ et ‘’souverainicide’’. C’est le triomphe de la loi contre la démocratie et le principe de souveraineté.
Elle vise en réalité (cette modification constitutionnelle) à transformer le Parlement en assemblée consultative comme en Arabie Saoudite avec le Conseil de la Choura, sans véritable pouvoir de contrôle , une coquille vide.
Elle rendra le principe de cohabitation inutile et superfétatoire (article 8 nouveau), un Premier Ministre issu des rangs de l’opposition ne pourra pas appliquer sa politique.
Elle fera du gouvernement et des forces armées des organisations sectaires, dans lesquelles les membres ne possèdent aucune liberté de pensée et de conscience. De fait, ils ne seront plus responsables ni devant le peuple, ni devant le parlement (les ministres), seul devant le Président de la République ( articles 15 et 20 nouveau).
Elle relègue le Premier Ministre au simple rang d’assistant du Chef de l’Etat et fait des ministres de simples exécutants (article 28 nouveau).
La pratique institutionnelle au Gabon a souvent fait dire que le Gabon n’a pas de constitution au sens stricte du terme, car les droits ne sont pas assurés et la séparation des pouvoirs n’est pas garantie. La représentativité n’est pas assurée, et le parlement est illégitime. Sauf que là, nous sommes en pleine dérive autoritaire.
Cette réforme va contre l’organisation rationnelle de l’Etat, elle va rompre le pacte national et républicain déjà en décadence. Elle consacre l’avènement d’un régime autoritaire et barbare.
Cette réforme provient d’un dialogue non consensuel puisque le principal challenger du Président Ali Bongo aux dernières élections, le Président Jean Ping, lequel revendique toujours sa victoire a obtenu plus de 45% de suffrages selon les chiffres de la Cenap et plus de 60% de suffrages selon ses propres ‘’équipes de campagne’’. Dès lors, la Cour ne saurait approuvée une réforme constitutionnelle dans laquelle le peuple est écartée de manière directe et indirecte.
Tout processus de révision constitutionnelle dans la situation politique actuelle du Gabon, qui met le peuple à l’écart est illégitime et antipatriotique. Aucune révision approuvée par le parlement actuel n’aura de valeur car ce parlement est dépourvu de tout élément de représentativité. Il souffre d’un déficit de légitimité. Son mandat a expiré, plusieurs de ses membres ont été élus par défaut à la suite d’élections partielles, ils sont donc en sursis. Cette assemblée ne peut donc pas décider au nom du peuple gabonais.
On introduit l’adverbe ‘’religieusement’’ au sein de la constitution pourtant nous sommes dans un pays laic , où il existe une séparation entre l’église et l’Etat, d’où proviendrait cette culture du secret inspiré de la logique de l’église que s’appliqueraient des ministres dont les actions sont pourtant censées être transparentes? Pourquoi faire de l’omerta qui est un principe clé dans la mafia, une valeur constitutionnelle ? Pourquoi constitutionnaliser l’omerta ? Sommes-nous en voie de ‘’monarchisation théocratique’’ du Gabon ?
On veut légaliser l’anti démocratie. Le droit et la loi devront s’imposer désormais contre la démocratie.
Cette réforme constitutionnelle est une violation de l’article 12 et du serment du Président de la République lequel est censé défendre la constitution et l’Etat de droit, or empêcher des haut commis de l’Etat, payés par le contribuable de s’exprimer librement revient à piétiner l’article premier alinéa 2 du titre préliminaire des principes et des droits fondamentaux de notre constitution qui reconnait la liberté d’opinion, d’expression de communication et surtout la liberté de conscience.
En d’autres termes, cette réforme impose aux ministres d’être dépourvus de toute conscience et de toute forme de liberté d’opinion.
La logique serait que les ministres jurent loyauté et fidélité au peuple gabonais et à la constitution et non au Chef de l’Etat qui n’est pas infaillible.
La constitution est censée être un contrat social, celle qu’on cherche à imposer au peuple actuellement va définitivement mettre un terme au lien entre les gouvernants et les gouvernés. On choisit d’opposer le droit à la démocratie.
Aux parlementaires, il est reconnu de poser des questions aux membres du gouvernement, lesquels sont obligés d’y répondre, de ce fait avec ce nouveau projet , les ministres ne devront plus rendre compte au parlement. C’est une violation de l’article 28 qui stipule que le Gouvernement est responsable devant le Président de la République et l’Assemblée nationale, elle viole également l’article 36 de la constitution.
Cette nouvelle constitution en gestation, entend arracher à une éventuelle majorité parlementaire issue de l’opposition, toute possibilité d’avoir une feuille de route politique contraire à celle du chef de l’Etat. Les députés qui représentent le peuple, se heurteront désormais à la seule volonté du chef de l’Etat.
C’est la preuve que le pouvoir du constituant est tombé aux mains du plus fort. C’est désormais la force qui prévaut, au Gabon, on est en train d’opter pour un mode autoritaire de l’élaboration de la constitution. Il n’y a à aucun endroit dans ce processus, le consentement du peuple gabonais.
Les moins avisés pourraient penser que le Gabon semble basculer d’un semi-présidentialisme renforcé à un présidentialisme très fort. Il n’en est rien en réalité car dans le présidentialisme, le Président n’est pas le chef de la majorité présidentielle, comme c’est le cas au Gabon ; le présidentialisme prévoit que le Congrès ait la possibilité de neutraliser le Président, ce qui ne sera pas le cas avec la nouvelle constitution. Au Gabon, il n’y a jamais eu, et il n’y a pas de séparation et de compétition entre les pouvoirs.
S’il est vrai qu’avec ces dispositions constitutionnelles envisagées le Président veut aussi s’ériger en chef du gouvernement et faire de ses ministres des secrétaires , il n’en demeure pas moins que ce projet a plutôt des allures monarchistes visant à faire du Chef de l’Etat un Monarque-Président.
Il aurait été beaucoup plus prudent de soumettre cette initiative au referendum.
Par conséquent le peuple doit s’organiser et refuser d’être transformé en sujets, il dispose de moyens pacifiques pour se faire entendre comme au Togo. Mais sur ce coup là , on ne saurait rester amorphe et passif. Il est question de faire appel à notre bon sens, que nous soyons de la majorité ou de l’opposition, notre caution à ce projet fera de nous de suicidaires.
Cette modification ne saurait passer, on doit s’y opposer et faire echec à ce projet.
Ce projet remet en cause la forme républicaine de notre Etat, instaure une crise de confiance sur le long terme entre le peuple et ses représentants, il va également limiter l’action de la justice qui ne pourra prévaloir sur la nouvelle loi du silence imposée aux ministres de la République et aux membres des forces armées.
Analyse.
Article rédigé le 21 octobre 2017.
Whylton Le Blond Ngouedi Marocko. Université de Rome I La Sapienza.