Coups d’Etat: quel avenir pour le Sahel?
En août 2020 puis en mai 2021, le Mali a connu deux coups d’État. Le premier, perpétré par l’armée malienne, a entériné le renversement du Président Ibrahim Boubakar Keita. Tandis que le second a eu lieu le 24 mai 2021, sur fond de tensions entre civils et militaires du nouveau gouvernement de transition. Il débouche sur la mise à l’écart des personnalités politiques civiles de transition, à savoir le Président Bah N’daw et son Premier Ministre Moctar Ouane. Ce dernier coup d’État consacre la prise du pouvoir par l’armée et la Présidence du Colonel Assimi Goita.
Pas loin du Mali, au Burkina-Faso, le 22 janvier 2022, le Président démocratiquement élu Roch Marc Christian Kaboré est renversé. L’opération est l’œuvre de la grande muette. Ainsi, le Lieutenant-colonel Paul Damiba s’autoproclame Président de la transition.
Ironie du sort, il est lui-même renversé quelques mois plus tard par ses frères d’arme. C’est le Capitaine et chef d’artillerie Ibrahim Traoré qui prend les rênes du pouvoir.
Enfin, en juillet 2023, au Niger un autre pays sahélien, le Président élu Mohamed Bazoum est renversé. À la manœuvre, un homme, le chef de la garde Présidentielle Abdouramane Tchiani.
Cela dit, tous ces coups de force ont plusieurs points en commun. D’abord, ils se déroulent dans une région, celle du Sahel, frappée par l’insécurité et le terrorisme.
Ensuite, ces territoires sont d’anciennes colonies françaises ayant en commun la langue française.
Enfin, ces pays ont été au centre de la stratégie euro-occidentale de lutte contre le terrorisme. D’ailleurs, les militaires qui prennent le pouvoir dénoncent l’absence d’une stratégie efficace de lutte. Mieux, ils parlent de moyens limités pour mettre en déroute les terroristes. À cela s’ajoute la corruption de l’élite civile. On peut certes accorder le bénéfice du doute aux hommes en treillis. Toutefois, quelques questionnements surviennent.
Quelles conséquences peuvent avoir ces chamboulements dans la région du Sahel ?
Coups d’Etats: quel avenir pour le Sahel?
La lutte contre le terrorisme compromise ?
Les coups de force au sein de la région ne facilitent pas la mise sur pied d’une stratégie à long terme. En effet, chaque nouveau pouvoir arrive avec son approche stratégique, ses convictions et ses partenaires. Ceci a pour conséquence, d’une part, de fragiliser le lien moral entre la population et les dirigeants, et d’autre part, de rendre parfois difficile toute évaluation certaine des résultats. D’où la question: coups d’Etat: quel avenir pour le Sahel?
D’une approche exogène à une stratégie endogène ?
Toutefois, les coups d’État au Sahel débouchent parfois sur une réappropriation de la lutte. Au Mali, par exemple, avec l’arrivée d’Assimi Goita, le pays a fait un revirement à 180 degrés. La stratégie euro-américaine de lutte contre le terrorisme a laissé place à une stratégie d’inspiration malienne.
Cela s’est matérialisé par le départ en novembre 2022 d’un contingent militaire français présent depuis le lancement de l’opération Serval le 11 janvier 2013.
De même, au Burkina-Faso, le gouvernement d’Ibrahim Traoré a préféré mettre les Burkinabè en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. Ceci, avant de s’appuyer sur les partenaires internationaux. En fait, selon les militaires, l’effort de guerre est d’abord une question citoyenne. Par exemple, le concept de “Volontaire pour la défense de la Patrie” (VDP) est né, tout comme l’appel aux dons et contributions volontaires a été instauré.
Le Sahel, un objet de convoitises ?
Le Sahel est une région stratégique et extrêmement riche. Elle a longtemps été considérée comme une partie du pré carré français. On y trouve l’uranium du Niger, l’or du Mali, le coton, le zinc du Burkina-Faso, entre autres. Il y a des réserves non négligeables de pétrole et de gaz.
Cela dit, c’est surtout un carrefour de culture et de civilisations. Une mosaïque où se côtoient chrétiens, musulmans et animistes.
Enfin, c’est une zone de transit pour les migrants qui traversent la Méditerranée.
Depuis 2002, la région occupe une place importante dans la stratégie américaine de lutte contre le terrorisme. Les différents acteurs des relations internationales essaient d’y accroître leur influence.
Un bouleversement géopolitique ?
Depuis les renversements d’Amadou Toumani Touré en 2012 et de Blaise Compaoré en 2014, le Sahel est en mouvement. La présence militaire de la France et de ses alliés n’a pas mis un terme au terrorisme. Bien au contraire, elle a été un vecteur d’un sentiment anti-français dont les origines remontent à la période coloniale. À chaque renversement des autorités civiles, suivent des slogans hostiles à la France. Dernier fait marquant, les manifestations des citoyens nigériens à l’ambassade de France à Niamey. Manifestations en soutien aux militaires qui ont pris le pouvoir.
Quelles conséquences concrètement ?
L’une des conséquences plausibles du renversement du Président Bazoum est avant tout le déclin de la France au sein de la région. Ensuite, la perte de la mainmise sur l’uranium du Niger.
Puis, une remise en cause de la présence des contingents militaires occidentaux.
Toutefois, ce changement inaugure la montée en puissance de l’influence de nouveaux partenaires comme la Russie. En effet, le Mali et le Burkina-Faso ont opéré un rapprochement avec Moscou.
On note également l’émergence d’un sentiment d’appartenance, de solidarité des peuples du Sahel. Il ne serait pas déraisonnable d’assister à la création d’un fédéralisme militaire entre Le Burkina-Faso, le Mali et le Niger.
Une autre conséquence non moins négligeable est l’isolement du Tchad. Ce pays, allié de la France dans la région, devra partager une frontière commune avec la République centrafricaine et le Niger. Or, ces deux derniers, si proches de Moscou, pourraient provoquer un changement d’exécutif au Tchad.
Enfin, faut-il le rappeler, le Niger est en partie tributaire de l’aide au développement. Dès lors, on s’interroge : comment les nouvelles autorités vont-elles faire face aux défis urgents du moment sans une partie de la manne ?
Coups d’Etat: quel avenir pour le Sahel?
En définitive, le Sahel demeure fidèle à sa réputation. Depuis des siècles, cette zone est l’objet de convoitises et de luttes de pouvoir. Au Sahel, les alliances, tant au niveau interne qu’au niveau externe, se font et se défont. Soixante ans après les indépendances des pays africains, la région est en passe de devenir l’épicentre du bouleversement de l’ordre international. Que serait la France sans le Sahel et l’uranium du Niger ? Que deviendrait la Russie si elle régnait en maître dans cette région ? Surtout, les acteurs politiques locaux parviendraient-ils à faire de cette zone le symbole d’une Afrique qui se gouverne elle-même ?
Ainsi, le titre évocateur de ce article: coups d’Etat: quel avenir pour le sahel, n’est pas fortuit. Il invite à une reflexion sur un espace géographique incontournable peu considéré à sa juste valeur.