Attendu impatiemment par le peuple gabonais, le dialogue national a pour objectif de rassembler les forces vives de la Nation afin de réfléchir sur le nouveau cadre politique, économique et social du Gabon post transition. En effet, depuis plusieurs années les gabonais aspirent à un autre type de société et de gouvernance. C’est d’ailleurs ce qui explique le grand enthousiasme manifesté par les citoyens lors du coup d’Etat qui a renversé le Président Ali Bongo Ondimba, le 23 aout dernier.
A leur arrivée, les militaires en tête desquels l’actuel Chef de la transition Brice Clotaire Oligui Nguema avaient annoncé être venus faire un toilettage et remettre le pouvoir aux civils à l’issue de cette transition censée durer 2 ans.
Seulement, depuis quelques mois, on observe une volonté chez le nouvel homme fort de Libreville de reconsidérer sa position de départ. Le Président de la transition adopte chaque jour un peu plus la posture d’un présidentiable.
D’abord avec l’élaboration d’une charte qui interdisait à tous les membres du gouvernement d’être candidats aux prochaines élections présidentielles mais entretenait le flou sur sa personne quoique ministre de la défense et de l’intérieur.
Puis, avec la révision de cette même charte en son article 35 qui ne reconnait plus le Président de la transition comme ministre. Il n’est donc plus sous le coup d’une exclusion à la future élection Présidentielle.
Ainsi, à l’approche du dialogue national qui se profile à l’horizon, de nouveaux éléments émergent. Pis, au regard du décret portant convocation et organisation du dialogue national les choses sont, on ne peut plus claires. L’issue de cette rencontre citoyenne nationale devrait consacrée la volonté de l’ancien chef de la Garde Républicaine.
Comment le dialogue national a-t-il déjà entériné la candidature du Chef de la Transition sans avoir eu lieu ?
La réponse à cette question est très simple : il suffit de lire les articles 10 et 11 du décret portant convocation et organisation du dialogue national.
Article 10 : ‘’Les conclusions du dialogue national sont sans délais, transmises au Président de la transition qui est chargé d’en faire assurer la formalisation et l’exécution sous forme de lois et règlements. ‘’
Article 11 ‘’ Les conclusions du dialogue national inclusif ayant vocation à s’appliquer avant la fin de la transition doivent être conformes avec la charte de transition.
Or la charte de transition n’est que l’expression de la volonté du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), elle n’est pas représentative d’une volonté souveraine nationale exprimée.
Mieux, la charte de transition en son article 44, prévoit une élection présidentielle à l’issue de la transition ; élection présidentielle à laquelle ne peuvent prendre part les membres du gouvernement et les responsables des institutions de la transition.
Ainsi, Brice Clotaire Oligui Nguema vient de prendre au piège les membres du gouvernement de transition qui attendaient le dialogue national pour faire sauter le verrou et espérer devenir candidats grâce aux nouvelles résolutions. Ce n’est pas un hasard s’il a été donné à chaque parti politique de ne déléguer qu’un représentant.
Le Président de la transition est aussi parvenu (du moins pour l’heure) à coiffer au poteau tous ceux qui aspiraient voir s’établir au Gabon un régime de type parlementaire. Cela d’autant plus que, la composition du bureau du dialogue national ainsi que le nombre de participants et leur sensibilité politique penchent en faveur du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) et donc du Chef de l’Etat.
Il reste tout de même une dernière étape à franchir celle de la rédaction de la future constitution. Mais là aussi, le Chef de la transition pourrait tirer son épingle du jeu car il n’aura pas de mal à mettre sur pied une assemblée constituante qui lui soit favorable. Cela débouchera inévitablement sur une constitution conforme à ses attentes.
Dès lors, on peut dire que la stratégie des Spin Doctors du Président de la transition est claire, elle consiste à faire perdurer la supra constitutionnalité de la charte de transition jusqu’aux prochaines élections.
Quelles conséquences ?
D’entrée, disons que ce qui se dessine actuellement au Gabon, c’est la mise en application de la volonté des tenants du pouvoir actuel ou du moins du Président de la transition. On assiste à la mise sur pied d’un Gabon de la transition et post transition taillé sur mesure. En fait, l’actuel pouvoir est entrain de dessiner le Gabon des 30 ou 60 prochaines années. Il s’agit à n’en point douter d’un régime d’hyper présidentialisation de type néolibéral.
Seul hic, tout cela semble se faire sans que le peuple n’ait véritablement son mot à dire.
Par ailleurs, il est difficile de prédire avec exactitude la réaction de la classe politique, des sociétés civiles et des citoyens gabonais.
Toutefois, cette démarche relative au dialogue national devrait déboucher dans les prochains jours voire semaines à une fragilisation du tissu social gabonais, une fracture de la cohésion politique ; une cohésion politique qui a semblé prendre forme après le coup d’Etat du 30 aout dernier.
Pourquoi ? Parce que les prémices de l’organisation du dialogue national manquent de clarté. Le processus ayant conduit à la désignation des participants à ce grand rendez-vous manque de transparence et n’a pas été inclusif.
Par exemple, il est très difficile d’expliquer à travers quels mécanismes les représentants de la diaspora ont été coptés.
Sur un tout autre plan, le dialogue ne présente pas de garanties d’impartialité, bien au contraire. Le pouvoir actuel est juge et partie et les organes qu’il contrôle forment la corporation la plus représentée au dialogue national.
Tenez! Un fait curieux, c’est l’absence des questions relatives à la vérité, la justice et la réparation au sein des commissions thématiques du dialogue.
Dès lors, on peut conclure que l’on parlera de tout sauf de justice, de crises postélectorales durant ce rassemblement. Pourtant, la justice est l’une des questions les plus attendues par les gabonais.
Enfin, lorsque l’on analyse l’organigramme du dialogue national, on constate tout de suite que c’est le gouvernement qui dialogue avec le gouvernement. On a de fait, toutes les raisons de penser qu’il s’agit en réalité d’un monologue dont les conclusions seront loin d’être l’expression de la volonté du peuple.
Si la présence du clergé gabonais peut laisser entrevoir quelques espoirs, il n’en demeure pas moins que l’église risque d’être facilement et très vite, mise en minorité.
De ce fait, si les actuels tenant du pouvoir ne rectifient pas le tir, on pourrait assister avant et pendant la tenue du dialogue national aux premières démissions au sein du Parlement et des organes de transition.
Il n’est pas non plus à exclure un durcissement de ton au sein de la classe politique, particulièrement au sein des forces progressistes ; durcissement de ton qui, aura des répercussions sérieuses sur le climat social au Gabon