Annoncé en grandes pompes après le coup d’État d’août 2023 qui a renversé le pouvoir d’Ali Bongo, le dialogue national se tient depuis le 2 avril. Si l’on a déjà été surpris par la confusion qui s’est installée depuis l’annonce du report de cet événement, des observations et des interrogations légitimes subsistent. D’abord, il convient de préciser que le dialogue national prévu pour durér un mois, après une semaine de report, prévoit des travaux en commission jusqu’au 18 avril seulement. Insuffisant pour une rencontre aussi cruciale.
Ensuite, il faut s’interroger. Est-il vraiment possible de faire le tour des problématiques nationales et de réinventer un modèle institutionnel solide et souverain du pays en 18 jours ? Clairement non ! C’est impossible. De ce fait, pourquoi les responsables politiques, les parlementaires de la transition à l’exception de quelques-uns, les leaders d’opinion et les personnes avisées ne se font pas entendre pour dire que les choses ne sauraient continuer sur cette lancée ?
Déjà, dès l’entame de cet événement censé rassembler toute la nation, la symbolique patriotique et bantou qui nous caractérise a disparu. Il y a d’abord eu la non-prise en compte du comité des victimes des crises électorales. Puis, le mutisme autour des travaux sans un compte rendu fidèle, clair et transparent. Des commissions qui travaillent huit clos, des journalistes interdits de rendre compte des échanges, en somme un dialogue où l’on a opté pour une souveraineté par procuration.
Sous d’autres cieux, notamment en Bolivie dans la province de Sucre, capitale constitutionnelle du pays, en 2006, la renaissance de l’État bolivien était retransmise à la télé. Une totale transparence régnait et l’opportunité était offerte à toutes les sensibilités de s’exprimer. Or, dans le cas du Gabon, il n’en est rien. Même les catégories les plus vulnérables de la société à savoir les chômeurs et les handicapés, se sont dites exclues de ce ‘rassemblement national’. De fait, sur le dialogue, plane l’ombre d’une confiscation du débat public national.
Que dire de l’absence des voix discordantes ? En effet, il apparaît clair que plusieurs patriotes gabonais et les forces socialistes sont les grands oubliés de ce rendez-vous. C’est le cas de l’opposant historique Luc Bengone Nsi, ancien auteur du ‘Livre Blanc’, fervent défenseur du multipartisme au Gabon et Président du Mouvement de Redressement National (MORENA) ; ce dernier est contraint de s’exprimer sur les réseaux sociaux. Idem pour Jean Victor Mouanga Mbadinga, Président du Mouvement pour l’Emancipation Sociale du Peuple (MESP). Cet irréductible opposant à Omar, puis Ali Bongo ne semble pas non plus avoir été invité. Incompréhensible également, l’absence du Professeur Albert Ondo Ossa, ancien candidat consensuel de l’opposition gabonaise aux dernières élections présidentielles.
Quid des questions de fond ?
Nulle part n’ont été mentionnés la souveraineté monétaire du Gabon, le démantèlement des bases militaires et la renégociation des accords de défense et des contrats miniers ainsi que les injustices commises par la France au Gabon sur les peuples autochtones durant les années 1800.
D’ailleurs, dans un ouvrage récemment publié et intitulé le ‘Gabon que nous voulons. En avant vers le socialisme Bantou-Pygmée’, l’auteur W.L Ngouedi Marocko, énumère une liste d’exactions commises par la France depuis le 17ème siècle au Gabon. Une réalité totalement ignorée par plusieurs Gabonais.
Si les Gabonais d’en bas s’attendaient à un dialogue révolutionnaire, ils sont sans doute sortis de leur sommeil, du moins, pour au final constater que cette révolution ne sera vraiment pas télévisée.
Quelle image renvoie-t-on du Gabon et quelles institutions voudrait-on faire émerger au sortir de ce huis-clos avec une telle vitesse d’exécution ?
Au final, les différents participants y compris la diaspora gabonaise, n’ont-ils pas servi de caution morale à une messe dont les conclusions ont déjà été préparées à l’avance ? Quoi qu’il en soit, l’histoire nous répondra tôt ou tard.
Une présence embarrassante ?
Il est tout aussi surprenant de constater que des membres de l’ancien parti au pouvoir (PDG), souvent pointés du doigt, se retrouvent au sein des commissions du dialogue national.
Que peut-on attendre de bon, venant des personnes ayant défendu bec et ongles la capacité de l’ancien Président Ali Bongo à diriger ? Peut-on espérer quelque chose de constructif, de la part de ceux-là même qui ont fait preuve d’un mutisme assourdissant face aux incessantes falsifications de la signature du Président de la République entre 2018 et 2023 ?
S’il subsiste tout de même des doutes sur le type de résolutions qui découleront de ce dialogue, On peut dire sans risque de se tromper que cette fois-ci, notre pays n’est pas bien parti.
Il faut considérer que le caractère d’impartialité du pouvoir ‘pré-constituant’ (les participants) est sérieusement remis en cause par l’opinion. Opinion dont une partie importante estime que l’opacité qui règne autour du dialogue vise en réalité à prolonger la durée de la transition au-delà de 2025 et à entériner la candidature de l’actuel chef de la Transition. Et ce, malgré le serment de ce dernier qui promettait de remettre le pouvoir aux civils en 2025.
Ce méli-mélo qui semble s’apparenter en partie à une incommunicabilité structurelle, démontre que les prémices pour l’adoption d’une véritable ‘lex fundamentalis’ souveraine et consensuelle ne sont pas réunies. Pour preuve, certains parlementaires de la transition se sont interrogés sur ce que cache réellement la censure et l’opacité auxquelles les Gabonais assistent.
Il ne fait l’ombre d’aucun doute, les résolutions qui sortiront du Dialogue National pourraient facilement être remises en cause au regard du procédé ayant conduit à leur adoption.
Dans de telles conditions, peut-on vraiment espérer élaborer une constitution consensuelle souveraine pour la soumettre à référendum ?
Whylton Le Blond Ngouedi Marocko. Docteur en Droit Public Comparé et International. Diplomé en Sciences Politiques et relations Internationales.