Si nous avons récemment exprimé nos inquiétudes quant à un déplacement inopportun du Président de la Transition en France, le déroulement de la visite qui prend fin ce week-end semble nous donner raison.
D’abord, au niveau de l’accueil. Nous avons été surpris de voir le Chef de la Transition accueilli à l’aéroport par un simple ambassadeur (de France au Gabon). Un tel geste, en langage diplomatique, peut être interprété comme un signe de manque d’importance accordée au Chef d’un pays et même comme une indication d’une relation non prioritaire de la France envers le Gabon. Pourtant, il s’agissait bien d’une visite de travail.
Ensuite, le Gabon s’est mis dans une posture de demandeur. Ce ne sont pas les Français qui se bousculent aux portes du Gabon, mais ce sont les autorités gabonaises qui sont allées solliciter le retour des entrepreneurs français au Gabon. Et ce, dans un contexte où, non seulement d’autres pays africains durcissent le ton et exigent des conditions et de la transparence avant d’envisager un quelconque partenariat, mais aussi où le peuple gabonais s’interroge sur le bilan de plus d’un siècle de coopération entre la France et le Gabon.
Ainsi, l’initiative des autorités de Libreville est apparue aux yeux d’une grande partie de l’opinion publique comme une attitude de “servitude volontaire” car on connaît les dégâts causés par la France au Gabon, non seulement dans le passé, mais aussi en ce moment.
D’ailleurs, les derniers épisodes en date sont ceux de Perenco ou encore de Comilog, pour ne citer que ceux-là.
Des fausses promesses?
Si les autorités de la transition se sont félicitées des promesses d’investissement français à hauteur d’un milliard d’euros, il n’est pas exagéré de dire que cela n’engage que ceux qui y croient. La vérité est que, depuis plus de deux siècles d’histoire commune, la France n’a pas été en mesure d’œuvrer pour un véritable transfert de technologie au Gabon. Bien au contraire, les entreprises françaises se sont contentées d’exploiter le sol, le sous-sol et la main-d’œuvre gabonaise “bon marché”.
Il est donc nécessaire de dire que, si ceux qui ont eu cette idée d’organiser ce forum ”Invest Gabon” pensaient rendre service au pays, c’est plutôt le contraire. Ils ont induit les militaires en erreur et sont progressivement en train de faire du Président de la Transition une personnalité moins populaire.
En fait, le potentiel du Gabon est inestimable et connu de tous. C’est donc aux investisseurs de se presser de venir au Gabon et non l’inverse.
De plus, les responsables du patronat français, tout comme les services de renseignement de la France, connaissent parfaitement le Gabon. Ils n’ont pas besoin de quelques heures d’échange pour se faire une idée de l’environnement d’affaires.
Investissement ou recherche d’un soutien politique?
Selon certaines sources fiables, toutes les dépenses relatives au forum et à l’organisation du séjour ont été couvertes par Libreville. Les Français n’ont pas dépensé d’argent pour ces rencontres. Pourtant, au pays, des Gabonais meurent de faim, les coupures de courant sont quotidiennes; plusieurs quartiers de la capitale n’ont toujours pas accès à l’eau et la criminalité continue sa croissance exponentielle (dernier épisode en date, le viol en réunion d’une jeune fille, lycéenne de 16 ans en classe de terminale, nommée Davila; nous y reviendrons).
Des voix autorisées parlent d’une délégation gabonaise d’au moins 200 personnes qui s’est rendue à Paris. Difficile pour des analystes avisés de ne pas voir dans ce “débarquement de Paris” une opération visant en réalité à rechercher de la part des autorités de Libreville, le soutien politique ou l’adoubement de la France.
Il n’est pas malvenu de s’interroger : combien tout cela va-t-il coûter au contribuable gabonais?
De plus, les autorités de la transition peuvent-elles vraiment signer des contrats d’envergure qui engagent la vie et l’avenir de générations entières de Gabonais? N’aurait-il pas été plus judicieux d’attendre qu’un gouvernement élu, légal et légitime procède à de telles actions?
Propos inquiétants pour la liberté d’expression et celle d’aller et venir?
Lors de son allocution, le Chef de la Transition a tenu les propos suivants : “Un régime, on sait quand il commence, on ne sait pas quand il finit. Ne vous mettez jamais à dos un régime. Quand vous attaquez un système, vous ne savez pas quand il finit. Il peut être pour 7 ans ou pour 14 ans et cela vous fait 14 ans dans le froid.”
Des propos qui poussent à se questionner sur l’état actuel de la nation. Sommes-nous véritablement libres et en pleine reconstruction nationale? Existe-t-il véritablement une liberté de pensée et d’opinion dans le Gabon de la transition?
D’ailleurs, deux de nos lecteurs ont qualifié ces propos de dangereux et ont exprimé leur crainte quant à l’idée d’un retour au Gabon. Pourtant, ces deux internautes avaient manifesté leur joie de voir enfin le Gabon se libérer au soir du 30 août 2023.
Que font le parlement de la transition et la société civile?
Imaginez un seul instant que les régimes précédents distribuaient de l’argent public lors de meetings au sein de la diaspora. La société civile et certains acteurs politiques auraient fait tout un scandale sur la toile et même à Libreville. Pourtant, en ce moment, certaines voix parlent de la distribution d’une somme de 100 euros par personne, hier samedi 1er juin, au sortir de la rencontre entre le chef de la transition et ses concitoyens à Paris.
Des sommes importantes qui auraient pu accompagner des programmes efficaces de lutte contre la pauvreté et de soutien aux couches fragiles au Gabon. N’oublions surtout pas que la délégation partie de Libreville comptait au moins 200 personnes. On peut donc penser que les sommes dépensées se chiffrent en milliards de francs CFA. Ne peut-on pas voir là, le signe d’une non prise compte des Gabonais qui triment ?
Dès lors, pourquoi le Parlement de transition reste silencieux? Comment les parlementaires, peuvent-ils laisser le Gabon s’embarquer dans des accords qui engagent notre souveraineté dans une période d’exception?
La diaspora résistante d’Europe absente?
Yoweri Museveni, Président ougandais, affirmait lors de sa visite en République Démocratique du Congo pour assister à “l’intronisation” de Laurent-Désiré Kabila il y a plusieurs années au stade des Martyrs : “Ce qui a attiré mon attention, c’est le fait que 2/3 du stade étaient vides.”
À Paris, nous avons pu observer que les gradins du gymnase n’étaient pas pleins. Pourtant, on y attendait près de 5000 personnes. De surcroît, c’était un samedi, donc un jour non ouvré. Les équipes et l’entourage du nouveau sérail devraient donc s’interroger sur ce qui ne va pas. Pourquoi cette baisse de popularité? Sommes-nous sur la bonne voie? Si oui, pourquoi la grande majorité de l’aile dure de la diaspora résistante du Gabon n’a-t-elle pas répondu présente à ce rendez-vous?
Une diaspora moins exigeante et un silence complice?
Ces dernières années, plusieurs Gabonais de la diaspora ont dénoncé avec véhémence la mainmise de la France et sa responsabilité dans les malheurs des pays africains, dont le Gabon. Étrangement, certains d’entre eux sont devenus muets. Ont-ils oublié le passé colonial, la pollution en cours au Gabon, les victimes de la Comuf et les errements de Perenco?
Plutôt que d’exiger le rétablissement de la vérité historique et d’édifier leurs compatriotes sur la dangerosité d’un nouveau partenariat Gabon-France opaque, ils ont affiché de façon ostentatoire les images à la gloire du nouveau partenariat Gabon-France.
Saluant ainsi une coopération dont la réalité se résume pourtant à une prédation sans cesse d’un bourreau envers sa victime.
Or, l’opinion publique et les Gabonais appartenant à la masse silencieuse auraient aimé que la diaspora présente à ces rendez-vous joue un rôle de haut-parleur. Mais certains d’entre eux (pas la majorité heureusement) ont choisi de botter en touche. En agissant ainsi, a-t-on gardé à l’esprit que les morts de 2009 et 2016, ceux des concerts des casseroles ou encore Glenn Patrick Moudende attendent que nous nous battions pour restaurer leur mémoire et faire jaillir la vérité afin que leurs âmes reposent réellement en paix?
Faut-il rectifier le tir ?
La direction que prend le Gabon est actuellement très inquiétante. Chaque jour, notre pays connaît un recul des libertés, une augmentation de l’insécurité, et on assiste à des nominations ethniques, une tribalisation de l’administration qui débouche progressivement sur l’institutionnalisation d’une extériorisation des revendications ethno-identitaires.
Il urge donc que les forces patriotiques se rassemblent et mènent des actions pour mettre en avant un discours fondé sur l’unité nationale et le patriotisme; un véritable changement pour que le pouvoir soit véritablement aux mains du peuple souverain pour que le Gabon soit un Etat véritablement libre où règne la sécurité.
Que faut-il attendre de la France au Gabon?
Il est difficile d’attendre grand-chose venant d’un partenaire qui, pendant plus d’un siècle de collaboration, a participé sans sourciller à l’instauration de l’immobilisme au sommet de l’État au Gabon, à la confiscation de la souveraineté du peuple et a soutenu les potentats.
Faut-il rappeler que durant toutes ces années, il n’y a pas eu de transfert de technologies de la France vers le Gabon, de rapport d’égal à égal?
Ce nouveau rapprochement entre la France et le Gabon s’inscrit tout simplement dans une restauration de l’ordre ancien pour sa continuité. Le Gabon servira d’espace de recyclage pour plusieurs produits français tels que les armements qui ne sont plus à la mode, les produits pharmaceutiques et les produits alimentaires qui, une fois arrivés au Gabon, seront vendus dix fois plus chers.
Il est peu réaliste d’attendre un changement radical si, au Gabon, il n’y a pas l’avènement d’un leadership responsable qui traite avec l’ancien colonisateur d’égal à égal et refuse d’assumer une posture de “courtisan-séducteur-sujet” comme le mentionne l’article ci-contre: https://www.rfi.fr/fr/afrique/20240529-gabon-en-visite-%C3%A0-paris-le-pr%C3%A9sident-de-la-transition-signe-des-contrats-%C3%A0-hauteur-d-un-milliard-d-euros
De même, les spin doctors et conseillers en communication de nos autorités en visite officielle devraient déconseiller à ces derniers de chanter l’hymne national de l’ancien pays colonisateur. Cela ne participe pas au prestige et au respect de notre pays.