Attendu avec beaucoup d’enthousiasme, la future loi électorale pose déjà problème. Ce qui devait inaugurer une véritable ère de transparence électorale semble ramener les Gabonais à la case départ.
En effet, les nouvelles autorités de transition ont décidé de confier l’intégralité du processus électoral au ministère de l’Intérieur. Une véritable préoccupation pour plusieurs Gabonais, car les désordres pré- et postélectoraux observés dans le pays depuis 1993, et peut-être même avant, avaient en grande partie pour cause ce mécanisme-là.
En fait, un processus électoral géré entièrement par le ministère de l’Intérieur, au regard de l’expérience du Gabon, comporte inévitablement des risques de partialité, un manque de transparence, une perte de confiance des citoyens envers le processus et une remise en cause systématique des résultats des élections.
Il va sans dire que dans ce cas de figure, ceux qui seront au pouvoir auront tous les moyens d’influencer le processus électoral en leur faveur. Autrement dit, ce projet acte la toute-puissance du gouvernement sur le processus électoral.
D’où l’incompréhension du choix de plus de 80 députés de la transition qui ont voté pour. Ces derniers ne sont pas censés ignorer que laisser l’organisation des élections au seul ministère de l’Intérieur ouvre la porte à plusieurs incertitudes.
Mieux, ce choix s’explique difficilement quand on sait qu’il y a près d’un an, certains opposants, devenus parlementaires ou responsables en période de transition, appelaient au changement, à la démocratie et demandaient que le pouvoir revienne au peuple.
Une course contre la montre ou un passage en force lors du référendum ?
Dans cette période d’exception (transition), les textes qui régissaient l’organisation des joutes électorales précédentes ne sont plus en vigueur. Il est donc certain que la vitesse d’exécution avec laquelle les autorités de la transition se manifestent pour aboutir à l’adoption du nouveau cadre électoral a une seule finalité : celle de faire de cette loi l’instrument par excellence pour remporter le prochain référendum.
De ce fait, l’issue du référendum pourrait être un remake de ce qui s’est passé dernièrement au Tchad. C’est-à-dire un processus peu transparent et remis en cause par les citoyens en général, la société civile et des acteurs politiques en particulier. Hélas, un processus très contestable qui pourrait tout de même faire triompher le ‘’oui’’, là où les Gabonais, dans leur écrasante majorité, pourraient dire non.
En vérité, ce que certains ignorent, c’est que le processus du référendum et les élections censées se tenir dans quelques mois au Gabon est déjà enclenché, et ce, avec un net avantage du gouvernement de transition qui tient les cordons de la bourse face à une population qui assiste de manière confuse et désarmée à une gestion opaque et teintée de multiples omissions.
De même, il est puéril de penser un seul instant que ceux qui organisent le référendum avec leurs propres règles pourraient être enchantés de les perdre.
Quelles conséquences ?
Il ne fait l’ombre d’aucun doute que ce nouveau projet de loi électorale, qui consacre la toute-puissance du ministère de l’Intérieur, donnera l’avantage aux candidats proches du gouvernement lors des élections ou aux candidats de complaisance issus des rangs d’une opposition fabriquée (opposition du pouvoir).
L’autre conséquence, plus grave, est que cette nouvelle loi électorale pourrait justifier les hypothétiques futures répressions vis-à-vis des contestataires des élections mal organisées, au motif du maintien de l’ordre public.
En effet, dans une période de transition où l’on souhaite déjà écarter des potentiels candidats pour cause du lieu de résidence, quel scénario pourrait être plus surprenant ?
C’est à se demander si l’on ne cherche pas simplement à étouffer la liberté. Pourtant, on sait que telle approche est sur le long terme intenable et ne saurait perdurer.
Malheureusement, le Gabon se rapproche progressivement des pays tels que le Rwanda ou la Guinée équatoriale, là où le verrouillage du processus électoral empêche toute alternance et consacre la présidence à vie et l’hégémonie d’une seule personne, voire d’un clan, au sommet de l’État.
Des espoirs qui s’envolent ?
L’avènement du 30 août 2023 devait permettre au Gabon d’emprunter le chemin des pays tels que l’Afrique du Sud, le Ghana et l’île Maurice, entre autres ; pays où les lois électorales sont ouvertes et progressistes et où l’alternance est une réalité. Un moyen pour atteindre l’excellence en gouvernance.
Ce Gabon du 30 août portait l’espoir d’un réveil africain de la souveraineté populaire et du triomphe de la volonté des citoyens. Notre pays aurait pu être le soleil levant des pays de l’Afrique centrale où la classe politique a du mal à se renouveler.
Or, on note une tentation à l’immobilisme, mais également à l’instauration d’un système de reproduction sociale des familles politiques régnantes. Tout le monde peut observer que les proches de ceux qui étaient déjà là sous la présidence d’Omar Bongo ne semblent pas avoir eu beaucoup de difficultés à se réinsérer dans le gotha politique sous la transition. Ce, malheureusement, au détriment des Gabonais normaux qui souhaitent jusqu’ici voir leur pays véritablement décoller.
Une posture surprenante
Ce qui est surprenant, une fois de plus, c’est le mutisme des acteurs et partis politiques gabonais (de l’opposition), à l’exception des 10 députés ayant voté contre cette mesure. C’est d’ailleurs le lieu ici de saluer leur courage et leur patriotisme. Quant aux autres, nous avons encore à l’esprit toutes leurs contestations lors de l’élection présidentielle précédente. Ces derniers s’étaient indignés de l’instauration du ticket. Mais où sont-ils passés et pourquoi ce changement de posture ?
Ne constatent-ils pas que, depuis que la transition a été amorcée, elle souffre de plusieurs maux dont deux particulièrement : le manque de transparence et l’absence de légitimité. Manque de transparence car, comme dans le cas du déroulement du dialogue national et des résolutions, les Gabonais ont le sentiment d’assister à une gestion opaque et à huis clos.
L’absence de légitimité, quant à elle, s’illustre par le fait que les parlementaires nommés semblent se sentir redevables au chef de la transition et se sentiraient ainsi obligés de voter en faveur de tous les projets que ce dernier initie.
L’urgence d’un rétropédalage ?
Il est surprenant, voire choquant, de constater qu’une majorité écrasante au sein du parlement de transition a pu voter en faveur de cette nouvelle loi électorale qui consacre un recul démocratique et apparaît comme le sous-jacent d’une instabilité.
Cependant, il est encore possible de faire amende honorable. Si des députés ont accepté de valider cela, les sénateurs devraient éviter de faire la même erreur, afin, espérons-le, que ce texte soit renvoyé à l’Assemblée nationale de transition, qu’il soit tout simplement annulé et que l’on réécrive une nouvelle loi électorale souveraine et démocratique.
Les parlementaires de la transition (quoi que nommés) devraient comprendre que ce qui se joue actuellement, ce ne sont pas leurs carrières politiques personnelles, mais plutôt le destin de la nation et la sécurité des générations futures. Il s’agit de poser les jalons solides d’un vrai Gabon, libre et éternel.
Quelles solutions ?
Sans détour, il faut une rectification urgente de la transition. Cela, en organisant l’élection d’une nouvelle Assemblée constituante aux prérogatives législatives. C’est l’une des rares alternatives crédibles en mesure de sauver l’héritage et le peu d’acquis démocratiques obtenus jusqu’ici par les pères fondateurs.
C’est d’ailleurs cette Assemblée constituante qui aura la mission de mettre sur pied la future Commission électorale indépendante.
C’est la voie par excellence pour atteindre la souveraineté.
C’est surtout le moyen de sauver une transition dont la crédibilité est entachée chaque jour un peu plus à cause des micmacs et des manipulations des résolutions des conclusions du dialogue national.
Cette rectification est d’autant plus nécessaire que des commissaires du dialogue national ont eux-mêmes émis des réserves quant au respect des conclusions adoptées en plénière. Pour être plus clair, il apparaît que le document final du dialogue national inclusif qui s’est tenu à Libreville, lequel document dont certaines copies se trouveraient aux mains du facilitateur Faustin Archange Touadera, de l’Union africaine et même de l’Union européenne, serait faux.
C’est pourquoi, il sied de s’interroger de la manière suivante : si le dialogue national, censé donner forme à des institutions fortes, est lui-même perçu au final comme un leurre, qu’en sera-t-il de l’organisation du futur référendum avec une loi électorale qui ne reflète pas les aspirations des Gabonais ? On peut en dire de même pour la future constitution. Sera-t-elle vraiment l’expression d’un projet national gabonais ?
Whylton Le Blond Ngouedi Marocko, patriote gabonais. Docteur en Droit Public Comparé et International (Université de Rome La Sapienza). Auteur de: Le Gabon que nous voulons. En avant vers le Socialisme Bantou-Pygmée.