Plus de 2 semaines après le dialogue national au Gabon, le rapport final de ce rendez-vous, est enfin disponible.
D’entrée, il faut dire que le dialogue national à travers ses recommandations n’a pas acté la rupture que les gabonais attendaient depuis le Coup d’Etat du 30 aout dernier.
Sur le plan institutionnel en effet, les membres de la commission politique du dialogue national ont laissé entendre que les gabonais souhaitent un mandat présidentiel de 7 ans. Impossible, dans la mesure où, la lutte des gabonais sous le magistère d’Ali Bongo consistait entre autres à limiter le mandat présidentiel mais également à en réduire la durée, c’est-à-dire passer d’un mandat de 7 ans à celui de 5 ans. Ce qui fut d’ailleurs fait lors du dialogue organisé par Ali Bongo après l’élection controversée de 2016.
Cette absence de changement se voit aussi dans le processus de désignation des membres de la Cour Constitutionnelle. Il est prévu de renforcer l’influence du Président de la République, qui nommera trois des juges, y compris le Président de la Cour. Or si on veut vraiment garantir l’indépendance de la Cour, les juges devraient être élus ou désignés par leurs pairs. Donc ce sont les juges eux-mêmes qui doivent élire leur Président.
De même que, pour garantir l’impartialité de la Cour Constitutionnelle, les mandats des juges ne devraient pas être renouvelables et ne devraient pas dépasser six ans. En leur accordant des mandats de huit ans renouvelables (comme le proposent les membres du dialogue), on risque de transformer les juges en “politiciens” qui cherchent à prolonger leur mandat en s’alliant avec des acteurs politiques. A l’opposé, en limitant la durée et la possibilité de renouvellement des mandats des juges constitutionnels, nous pouvons dépolitiser la justice et la rendre plus efficace et compétente, notamment grâce à un renouvellement régulier des idées et des compétences.
Ce qui est encore plus préoccupant, c’est l’obsession d’instaurer un système présidentiel fort. En effet, les recommandations du dialogue national montrent que le futur Président du Gabon aura des pouvoirs plus importants que ceux de ses prédécesseurs Omar et Ali Bongo, des pouvoirs presque impériaux voire magiques. De plus, bien que les membres de la commission politique aient souhaité supprimer le poste de Premier Ministre, le Vice-Président, qui accompagnera le Président de la République, ne sera pas élu. Il sera nommé par le Chef de l’État et ne pourra pas lui succéder en cas de vacance de pouvoir, démission ou destitution. Ainsi, ce Vice-Président sera simplement une figure décorative et une marionnette aux mains du chef de l’exécutif.
Il est crucial de souligner que les membres du dialogue national ont délibérément ignoré la volonté des Gabonais de mettre fin au régime présidentiel et de voir émerger un système parlementaire ou d’assemblée, plus représentatif de la société gabonaise. Aucune mention n’a été faite de donner aux Gabonais la possibilité de choisir entre le système présidentiel et le système parlementaire. Cette omission flagrante est une trahison des aspirations populaires et un danger pour la démocratie, menaçant de perpétuer un régime autoritaire et centralisé qui ignore les besoins réels du peuple.
Il est évident pour tout observateur attentif que le refus catégorique de rompre avec le passé se manifeste aussi cruellement par la continuation du Sénat. Une entité que la grande majorité des Gabonais désire voir abolie, non seulement parce qu’elle est superflue, mais surtout parce qu’elle dévore d’énormes ressources budgétaires. En effet, les fonds alloués au Sénat pourraient être réaffectés à des programmes sociaux visant à soulager la détresse des Gabonais et à atténuer l’extrême pauvreté qui ravage notre société.
Comment peut-on justifier, lors du dialogue national, la décision des commissions de maintenir cette institution obsolète ? Aucune autre explication ne s’impose, si ce n’est la volonté de placer des alliés et de rétribuer des soutiens politiques.
Un comité constitutionnel transformé en assemblée constituante ?
Sur un tout autre plan, les gabonais s’interrogent sur la mise en place d’un comité constitutionnel censé rédiger et proposer une constitution au chef de la transition avant la fin du mois de mai. Très étonnant puisque le chronogramme de la transition prévoyait la transformation du Parlement de transition en assemblée constituante. Nulle part, n’avait été mentionné la mise sur pied d’un comité constitutionnel dont les citoyens ignorent les critères et les conditions ayant conduit à la désignation de ses membres.
Recul des droits, libertés et velléités ségrégationnistes ?
Certaines recommandations du dialogue laissent perplexe quant à l’avenir de notre pays. Il semble que l’on veuille consacrer une classification des Gabonais en catégories A, B, C, voire pire, instaurer une forme de ségrégation. C’est particulièrement illustré par l’interdiction imposée à certains responsables de la transition de se porter candidats aux prochaines élections. Sinon, comment expliquer que parmi toutes les autorités de la transition, seul le chef de la transition soit autorisé à se présenter aux élections à venir ? Cette restriction des droits démocratiques de certains citoyens attriste. Ne sommes-nous pas entrain de semer les graines de l’injustice et de la division au sein de notre société ?
Par ailleurs, il est clairement envisagé d’interdire catégoriquement aux citoyens dont l’un des parents n’est pas d’origine gabonaise de se porter candidat aux élections présidentielles, voire même d’assumer des fonctions institutionnelles telles que celle de ministre.
Cependant, il est important de se rappeler qu’en 2016, le candidat de la coalition de l’opposition gabonaise était un citoyen gabonais. Il est né, a grandi et a travaillé toute sa vie pour le Gabon, bien qu’ayant un père d’origine étrangère.
Nous sommes donc là, en plein déni des droits de certains compatriotes. Une tentative de marginalisation des binationaux.
Certes, une réflexion sur les critères d’attribution de certains postes clés au Gabon est légitime, mais il est tout à fait inacceptable de remettre en question le fait que les Gabonais ayant un parent étranger sont eux-mêmes des Gabonais d’origine. Pour être plus précis, tout Gabonais né d’au moins un parent gabonais est légitimement considéré comme Gabonais d’origine. Son héritage, son appartenance gabonaise ne doivent en aucun cas être contestés.
Une hostilité envers la diaspora gabonaise ?
Comment peut-on exiger des Gabonais qu’ils aient résidé de manière ininterrompue au Gabon pendant les trois années précédant l’échéance, s’ils souhaitent se porter candidats aux élections présidentielles ? Ceci, alors que sous le règne du pouvoir précédent, la dictature consistait notamment à persécuter les opposants politiques, forçant certains d’entre eux à l’exil pour sauver leur vie. Pourquoi cette discrimination à l’égard des Gabonais de la diaspora ?
Il est impensable d’infliger à des personnes ayant déjà enduré la douloureuse expérience de l’exil, la perte de leur identité gabonaise et de les priver de leurs droits les plus fondamentaux.
En réalité, nous sommes loin de la révolution et du changement tant attendue par les Gabonais dans leur ensemble.
Un silence complice ?
Il convient tout de même de souligner et de faire remarquer que le silence assourdissant de la classe politique, la société civile et une partie des intellectuels gabonais demeure préoccupante. L’on se souvient que sous le pouvoir d’Ali Bongo entre 2009 et 2023, chaque mouvement, chaque écart de son pouvoir étaient scrutés, contestés et dénoncés avec véhémence ou avec la dernière énergie.
Ces derniers mois, une atmosphère d’amnésie quasi collective semble s’installer au Gabon. Les défenseurs d’autrefois sont devenus complices de toute forme d’autoritarisme et d’injustice ; ceux qui prônaient l’unité nationale sont désormais les promoteurs d’une tribalisation éhontée au sein de l’administration. Pire encore, dans la diaspora, ceux qui autrefois réclamaient la démocratie semblent désormais imposer dans leurs débats, forums de discussion et associations, la dictature de la pensée unique et le culte du pouvoir absolu.
Ils ne s’indignent plus face à la corruption généralisée, aux crimes économiques, à l’insécurité croissante et aux meurtres rituels. Ils semblent hypnotisés par les promesses de postes prestigieux et aveuglés par l’appât de l’argent.
Quelle leçon ?
Au vu de ce qui précède, il n’est finalement pas exagéré d’affirmer qu’au Gabon, après le 30 août 2023, le pouvoir a changé de mains mais on n’a pas changé de régime. En d’autres termes, la révolution n’a pas aboli les privilèges ; elle s’est contentée de remplacer certains privilégiés tout en maintenant bon nombre des pratiques blâmables et anti-républicaines qui existaient auparavant.
Par conséquent, pour éviter toute dérive, il est impératif de mettre en place une assemblée constituante élue, capable d’adopter des résolutions véritablement souveraines et consensuelles, respectant ainsi la diversité d’opinions au sein de la nation gabonaise. Il est également crucial que les Gabonais, y compris les acteurs de la transition, comprennent l’importance du prochain référendum. Celui-ci apparaît comme l’une des rares solutions et dernières lueurs d’espoir pour éviter à la nation gabonaise de sombrer dans une dictature confuse, prolongée, pénible et féroce.
Dr Whylton Le Blond Ngouedi Marocko. Auteur de ”Le Gabon que nous voulons. En avant vers le socialisme Bantou-Pygmée.” Docteur en Droit Public Comparé et International (Université Rome I La Sapienza).